Entre Gisèle et post-modernisme Partie 1

Avertissement : cet article est particulièrement chiant et traite de sujets déprimants qui pourraient finir par amener le lecteur à commettre des actes potentiellement suicidaires. Tenant au plus haut point à votre intégrité physique autant que psychologique, il est indispensable pour votre sécurité que vous regardiez fréquemment l'image ci-jointe de ces boobies préventifs !

En bon gars pompeux que je suis, j'écoute généralement discourir des intellos de Radio-Canada quand je conduis, mais il peut aussi m'arriver d'être un peu las d'entendre parler d'à quel point le quinoa est l'aliment tendance début 2013 de la bonne société Montréalaise et de changer de chaîne. À l'affut de la nouvelle fille de 18 ans chantant le rut avec volupté comme personne avant elle (et d'à quel point son ex est méchant et qu'elle est indépendante et qu'elle a des belles fesses et n'essayer pas de la toucher car elle est beaucoup trop hot pour vous, même si elle est bien tendre sous ses allures de tigresse, etc), quelle ne fut pas ma stupeur de ne tomber que sur des hits d'un gars dont la voix a été remixée par une boîte de conserve ''cheap'' et qui bégayait des « floors » trois fois de suite ! C’en était trop pour moi, j'ai dû descendre encore plus à fond dans les abimes du divertissement populaire et changer de chaîne une autre fois. Destination radio parlée, d'orientation matante qui veut entendre discuter de sexe, mais pas trop ! Genre, si les ados veulent du sexe, ils doivent d'abord ranger leur chambre ! (réellement entendu à cet émission). À grand pouvoir, grand passage de mop ! Bref l'émission rêvée pour quiconque passe par là !

Le sujet du jour y était la « rétro-sexualité », je ne sais pas trop où l'animatrice sexologue a été chercher sa définition, mais il semblerait que ça consiste dans le fait de renouer contact avec des anciens amours du passé, pour ceux qui ont du vécu (et donc pas ces petits cons de jeunes en Honda Civic et ces pimbêches qui ne savent même pas comment s'habiller pour avoir un peu de classe !). Après avoir expliqué que c'est vraiment super tendance et qu'elle même a renoué avec un ancien ex sur facebook et que ça fait deux ans, et que sa vie est bien équilibrée, et que sa voix nous fait comprendre qu'elle est l'être le plus sage qu'aura jamais connu cette terre, et continuez après moi, vint le moment de prendre un appel du public. Quelle ne fut pas ma surprise que ce ne soit pas une madame quétaine de 45 ans qui soit au bout du fil, mais bien un vieux, un vrai ! (comprenez moi, je ne savais plus que ça existait de nos jours...)

L'homme approchait des 80 ans. Ils s'exprimait d'une voix forte, le genre de bonhomme à se tenir bien droit lorsqu'il parle, en bombant un peu le torse, pour qui les gens bien éduqués doivent bien articuler chacun de leur mots en mettant une grande emphase sur chacun d'eux. Voyez-vous, il n'y avait pas tellement de gens qui avaient fait des études dans le temps et on devait se montrer à la hauteur de la chance et du prestige qu'on avait eu. Pour lui, la façon de montrer qu'il avait encore toute sa tête était de bien s'attarder sur chaque date et lieu, au mois près. Oui il a bien existé et c'est devant le Zellers rue grande Allée de Québec que ça c'est passé, le 19 mai 1983. Bref, pas exactement le public cible de l'émission et on l'aurait probablement coupé si l'on avait seulement su ce qui était pour s'en venir. Le monde a besoin d'espoir et de rire, pas de vieux déchets qui nous rappellent qu'on finira tous par crever! (là c'est le temps de regarder des boobies, sécurité avant tout !)

Bref, il eut son premier amour à 19 ans. Elle s’appelait Gisèle. Elle avait 17 ans. Il la trouvait belle comme un cœur et s'était senti vivre comme jamais à son contact. Ça ne dura pas très longtemps, ils se séparèrent pour des motifs nébuleux puis il se maria à une autre femme avec laquelle il eut trois enfants. Il ne se sentit jamais heureux dans son mariage qui dura 25 ans. La vie lui pesait tellement qu'il finit par déménager seul à Québec, la mi-cinquantaine passée. C'est alors que, devant un magasin qui n'existe même plus aujourd'hui, un peu comme tout ce qui aura fait sa vie, il retrouva sa Gisèle par hasard, ou plutôt qu'elle le retrouva , car c'est elle qui l'a reconnu malgré la vie qui s'était écoulée sur ses traits depuis tout ce temps.

Elle s'était aussi mariée de son côté. Elle avait fait sa vie et avait eu des enfants. Elle aussi ne s'était jamais réellement sentie heureuse dans tout ça. Ils reprirent contact et de fil en aiguille, elle finit par quitter son mari. Ils emménagèrent ensemble quelques années plus tard. Ils vécurent ainsi pendant plus d'une décennie et ce furent les plus belles années de notre vaillant vieillard. Tout ce qui lui avait pesé dans la vie semblait si loin derrière. Il vivait une deuxième jeunesse et plus rien d'autre que sa Gisèle n'avait d'importance. Mais déjà, on sentait quelque chose se nouer dans sa gorge. On se demandait bien qu'est-ce que ça pouvait bien être au vue d'une si belle histoire, quand il finit par cracher le morceau : Sa Gisèle était morte. D'une lente agonie qui a duré deux ans. Elle est morte et il est vieux et seul. Il l'a tellement aimée. Cet appel était pour lui rendre un dernier hommage. Et il pleurait à chaudes larmes dans ce show de radio débile, lui qui ne devait définitivement pas être le genre d'homme à s'abandonner à pareille faiblesse.

Je vous avouerai qu'il y a eu un bon gros malaise de la part de l'animatrice. Ça lui a prit un bon quatre secondes pour trouver quelque chose à répondre et à se ressaisir selon la vieille formule mainte fois consacrée, car aussi profond puissions-nous être, les lumières de la bullshit céleste ne seront jamais très loin. Elle a d'abord émit un ''hoooooo'' (dans le genre hoooo tu t'es fait bobo mon petit, maman va te soigner ça), puis elle a essayé de rationaliser toute l'histoire avec des tournures de phrases qui frisaient la destinée mystique. Tout dans la vie doit faire un sens voyons ! « Ho vous n'étiez pas prêt à telle époque, « je sens beaucoup de ressentiment dans... ».

Puis j'ai fait la meilleure chose de ma journée : j'ai éteint la radio. Si ça se trouve, le monsieur s'est peut-être tué depuis. On ne sait pas. De toute façon on s'en fout. C'était juste l'histoire d'un vieux criss. Je ne vois même pas de quel droit on l'a laissé s'exprimer...

On poussera plus à fond une autre fois. Ça commence à être le temps de passer aux choses plus importantes. Bonne journée !

Regardez bien ces boobies, ils pourraient vous sauvez la vie !